La famille Psankiewicz habite au 26 rue Duris dans le 20ème arrondissement. Abram et Chana ont émigré de Pologne au milieu des années 20. Ils se sont rencontrés à Paris où Chana et sa soeur Ruschka avaient décidé de faire escale avant d’émigrer aux Etats-Unis avec leurs parents. Chacune y a rencontré son futur mari. Elles sont ainsi restées en France. Abram et Chana ont deux filles, Louise et Rachel, qui fréquentent l’école de la rue de Tlemcen au moment de la guerre.
Le 14 mai 1941, Abram est victime de la rafle du Billet Vert et envoyé au camp de Beaune-la-Rolande. Le 16 juillet 1942, des policiers français viennent arrêter Chana et les enfants. Elles sont emmenées à la Bellevilloise d’où Chana forcera ses filles à s’échapper. S’ensuit une période d’errance pour Louise et Rachel qui voient leur famille s’effacer inéluctablement.
En 1995, Rachel participe à l’initiative de la Shoah Foundation et raconte son histoire. A partir de cette année-là, elle n’aura de cesse de témoigner et d’intervenir dans les écoles. Petite main agile, elle reprise inlassablement la mémoire trouée de l’Histoire.
Rachel publie Nous étions seulement des enfants en 2018 qu’elle dédie à ses enfants et ses petits-enfants. En novembre 2021, elle reçoit des mains de Serge Klarsfeld l’insigne d’Officier de la Légion d’Honneur pour sa mission mémorielle dans le cadre scolaire. Ce jour-là, l’espiègle petite Rachel faisait un sacré pied-de-nez à ceux qui voulaient effacer son histoire.
"A partir de cet instant, nous avons pu raconter. Notre souffrance était reconnue. Alors, les vannes que nous gardions fermées se sont ouvertes une à une. Et mon passé m’est revenu par vagues successives." (Nous étions seulement des enfants, pp. 92).
Voici ce qu’écrit Rachel en 2018 dans son récit Nous étions seulement des enfants au sujet de la déclaration historique que le Président Jacques Chirac a faite le dimanche 16 juillet 1995.
Dans l’interview que Rachel a faite pour la Shoah Foundation en août 1995, nous assistons ainsi à la remontée balbutiante des souvenirs qu’elle avait si bien enfouis pendant toutes ces d’années. Maintenant qu’on l’écoutait enfin, elle confiait à la fois des bribes bien ancrées dans ses souvenirs – son leitmotiv "Et je me souviens" rappelant le texte anaphorique de Perec- mais aussi les blancs qui obscurcissaient encore sa mémoire à ce moment-là. Elle n’en était qu’à la première vague.
Durant la vingtaine d’années qui ont séparé les deux témoignages, le ressac cathartique de la mémoire libérée a fait resurgir des lieux et des visages, a éclairci des moments jusque-là flous et a peaufiné les détails.
Cliquez sur les points de la carte pour suivre l'histoire dela famille Psankiewicz dans le paysage parisien.
Abram et Chana Psankiewicz à Paris en 1928
Mariage de Chana et Abram Psankiewicz à Paris en 1928
Abram, Chana, Louise et Rachel circa 1934
Rachel circa 1936
Louise et Rachel en mars 1942
Paul et Maurice Psankiewicz
Paul Psankiewicz à l'époque de la guerre
Hendla Psankiewicz
Nachmann Psankiewicz
Grands-parents maternels Zyto
Abram, Maurice et Larbel Beker à Beaune-la-Rolande en janvier 1942
Abram et Maurice à Beaune-la-Rolande en avril 1942
Abram et Maurice à Beaune-la-Rolande en avril 1942
Abram à Beaune-la-Rolande en mai 1942
Abram à Beaune-la-Rolande en juin 1942. Il porte les soques qu'il a fabriquées.
Certificat de non rapatriement établi en avril 1946 au nom d'Abram. Il indique que ce dernier a été déporté en Allemagne en juin 1943.
Acte de décès établi en 1952 indiquant qu'Abram est mort à Beaune-la-Rolande.
Rectificatif établi en 1999 et indiquant qu'Abram est mort en déportation à Auschwitz (Pologne)
Acte de décès de Chana établi par la Croix-Rouge
Le soir du 15 juin 2019, j'ai consigné dans mon carnet Mnémosyne les détails de ma rencontre fortuite avec Rachel pour essayer d’en préserver la magie. Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’un insterstice, me permettant de me faufiler dans le passé, dans mon passé, s’était ouvert. Depuis, à chaque fois que nous nous téléphonons ou nous voyons, Rachel me refait le plus cadeau : elle me permet de revoir les yeux de ma grand-mère et de ressentir sa chaleur réconfortante.
Rachel nous parle de la vie au 26 rue Duris où se trouvait l’appartement familial. Ce lieu n’existe plus aujourd’hui, remplacé par de nouvelles constructions. A ses côtés, nous nous faufilons à l’intérieur de l’appartement pour y rencontrer les personnes qui en faisaient un foyer. C’est par le prisme des souvenirs sensoriels, qui se sont inscrits dans sa mémoire, que nous l’écoutons rendre une âme et une essence à des lieux et des êtres aujourd’hui disparus mais qui ont bel et bien existé.
Le 11 juillet 2019, aux côtés de Rachel, nous avons retracé les géographies de son enfance et le chemin qu'elle a emprunté avec sa mère et sa sœur Louise le 16 juillet 1942. Dans ces vidéos filmées en 360, elle nous emmène ainsi à l'endroit où se trouvaient l'appartement familial, celui de ses grands-parents paternels ainsi que celui de ses cousins Paul et Maurice. Nous entrons ensuite dans son ancienne école pour finir devant la Bellevilloise. Tout au long du parcours, on sent le regard bienveillant de tous ses proches disparus qu'elle évoque avec beaucoup de tendresse.
Annette Monod, assistante sociale pour la Croix Rouge, décrit les conditions dans les camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande and Drancy: Écouter et lire ici.
Marcelle Duval, volontaire à la Croix-Rouge, raconte ce qu'elle a vu au Vélodrome d'Hiver après la rafle du 16 juillet 1942: Écouter et lire ici.
Micheline Cahen, employée de la Croix Rouge au camp de Beaune-la-Rolande, décrit les conditions dans le camp: Écouter et lire ici.
Les familles du Vel d’hiv dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, lire ici.
«Le Vel d’Hiv, invisible et inoubliable» lire ici
Sciences-Po, "La Rafle du Vélodrome d'Hiver, 16-17 Juillet 1942," lire ici.
Transcription d'extraits du témoignage de George Wellers au procès d'Eichmann (9 mai 1961) lire ici.
Rapports de l'Inspection générale du camp de Pithiviers (Nov. 1941 et Jan. 1943), lire ici.
Rapports de l'Inspection générale du camp de Beaune-la-Rolande (Nov. 1941), lire ici.
Rapports de l'Inspection générale du camp de Drancy (1943), lire ici.
Film de 1938 sur l’Asile Lamarck. Regarder ici.
Extrait du témoignage de George Wellers au procès Eichmann (arrivée des enfants au camp de Drancy). Regarder ici.
« Le pillage des appartements juifs à Paris » par Sarah Gensburger et Isabelle Bakouche. Regarder ici.
United States Holocaust Memorial Museum (USHMM) Collections